Le «genre» de la Loi sur lasile
Le «genre» de la Loi sur lasile
Le point de départ de notre questionnement pourrait être formulé ainsi: Quels sont les instruments permettant doffrir une protection adéquate à une femme togolaise1 qui dépose une demande dasile pour échapper à lexcision, à une Afghane menacée de mort pour avoir cherché à travailler, ou encore à une Iranienne refusant de se plier aux codes vestimentaires islamiques? Le seul motif du traitement infligé ici est lappartenance à la catégorie «femme»2. Le 4 juin 1997, le Conseil national, penché sur la révision totale de la Loi3, refusa la proposition de la minorité tendant à ajouter lappartenance de sexe aux motifs de persécution actuellement reconnu comme fondant la qualité de réfugié-e. Lart. 3 na donc pas été modifié dans son premier alinéa et définit le (mais aussi la) réfugié-e comme suit: «Sont réfugiés les étrangers qui, dans leur pays dorigine ou de dernière résidence, sont exposés à de sérieux préjudices ou craignent à juste titre de lêtre en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social déterminé ou de leurs opinions politiques». Les femmes devront donc toujours montrer quelles sont persécutées pour lun des motifs cités. Quand bien même elles réussiraient cette première épreuve, dautres normes, ou pratiques, dapparence neutres du point de vue du genre, vont savérer discriminatoires
Les documents didentité
Larticle 32 LAsi prévoit différents motifs de non entrée en matière dont lun est la non-présentation de pièce didentité. Il devient dautant plus important dêtre au clair sur les risques de devoir faire face à une non entrée en matière, que le 1er avril prochain, enteront en vigueur les mesures budgétaires urgentes décrétées cet automne qui transformeront toute personne soumis à une non entrée en matière en sans papier partant sans autorisation de travail privée de toute aide sociale. Or, hommes et femmes ne sont pas égaux devant la détention de tels documents. En effet, pour posséder un passeport ainsi quune carte didentité, il faut en avoir eu besoin avant la persécution. Ce besoin est intimement lié à la mobilité. Or, les femmes sont moins mobiles notamment du point de vue professionnel et ont donc moins fréquemment requis une pièce didentité. Laccès au permis de conduire étant lui aussi très tributaire du genre, certains pays ayant même interdit aux femmes de conduire un véhicule, on comprendra aisément que les femmes requérant lasile puissent moins aisément fournir des pièces didentité.
Lexigence dune persécution étatique
Bien que ni la Loi sur lasile, ni la Convention de Genève sur le statut des réfugiés ne lexige, les autorités suisses ont toujours considéré quune imputabilité à lEtat était nécessaire pour que la reconnaissance de la qualité de réfugié soit possible4. Cette imputabilité se rattache, non pas à une capacité ou non de protection, mais à une volonté ou non daccorder sa protection. Or, cette non prise en compte de persécutions non étatiques est particulièrement préjudiciable aux femmes migrantes. Si le Pakistan ou lAfghanistan des talibans et quelques autres Etats nont pas hésité à faire entrer les persécutions faites aux femmes dans la législation, il sagit dans une majorité de cas de persécutions par des tiers. Que ce soit les conséquences dun non respect dun code vestimentaire, un mariage forcé, une contrainte à la prostitution ou des mutilations sexuelles, toutes ces persécutions sont bien souvent le fait de tiers bénéficiant fréquemment du soutien, de lindifférence de lEtat ou de son incapacité à intervenir.
Quest ce qui est politique?
Longtemps, pour parler des réfugiés, on parlait de réfugiés politiques. Image dEpinal du réfugié, le militant anticommuniste est accueilli à bras ouvert en Suisse comme dans la plupart des pays occidentaux. Si, depuis, les politiques sont devenues plus restrictives5, limage du réfugié politique est restée. Seul face à la puissance étatique, le militant sélève publiquement, parle, écrit, sorganise, prend les armes. Toutes ces activités appartiennent à lespace public, espace dont les femmes sont, aujourdhui encore, souvent exclues. Il est souvent très difficile de faire admettre le caractère politique de certaines pratiques dopposition dont la forme est très marquée par lappartenance de genre. A titre dexemple, la Commission suisse de recours en matière dasile dans une décision du 7 décembre 1995 conseillait à une requérante iranienne déboutée de porter le voile, «afin déviter a priori toute provocation, par un comportement approprié et exigible»6. Une telle argumentation pourrait être opposée à nimporte quel opposant politique. En effet, sil sétait conformé à lordre établi, il naurait pas eu dennui. CQFD. Seulement voilà, si lon nexige pas de Salman Rushdie quil renonce à écrire, dun juif quil accepte létoile jaune ou le ghetto, dun albanais de Kosove quil renonce à sa langue, on considère que les femmes, elles, doivent se conformer à ce qui nest pas perçu comme une discrimination/persécution dune catégorie sociale, mais comme une différence de traitement liée à une différence dite naturelle.
Magalie GAFNER
Juriste et sociologue
Centre social protestant Vaud
- Libération, 2 mai 1996, pour un cas despèce.
- On se référera utilement à larticle de Christina HAUSAMMANN, «Les femmes réfugiées dans la révision de la loi sur lasile», IN ASYL 1996/2.
- Le Courrier, 5.06.1997.
- Voir notamment JICRA 1996/18, JICRA 1996/28
- MAILLLARD Alain et TAFELMACHER Christophe, Faux réfugiés? La politique de dissuasion dasile de 1979 à 1999, Editions den bas, Lausanne.
- Citée In La jurisprudence de la CRA, expertise réalisée sur mandat de lOSAR par HULLMANN, MATTERN, LEVRAT, septembre 1996, p. 55.